Vert-Togo : quand le journalisme devient un levier pour le climat
- Je M'engage pour l'Afrique
- 17 juil.
- 5 min de lecture

Interview d’Hector Sann’do Nammangue, Journaliste Scientifique, Fondateur de Vert Togo & président de l’ATJ2E
Comment est né Vert-Togo ? Qu’est-ce qui t’a poussé à lancer ce média, et comment a-t-il évolué depuis sa création ?
Vert-Togo n’est pas qu’un simple media, c’est une réponse ou pour ne pas dire une solution à un problème de manque d’informations et de données en matière d’enjeux environnementaux et climatiques en Afrique de l’Ouest et plus précisément au Togo.
Une enquête menée par Afrobarometer entre 2016 et 2018 révèle que 45 % des Togolais déclarent n’avoir aucune notion des changements climatiques. J’ai trouvé ce chiffre préoccupant, bien qu'il soit légèrement inférieur à la moyenne africaine de 43 %. Et pour moi il fallait relever ce déficit significatif de sensibilisation au Togo car malgré les efforts entrepris par les autorités pour informer la population sur ce phénomène mondial, la perception des Togolais sur les changements climatiques était bâclée.
Frustré par ce fait, j’ai décidé de créer en janvier 2018, Vert-Togo, 1er webmagazine sur l’environnement, l’économie verte et le développement durable au Togo et en Afrique. Un média qui donne une voix aux communautés Togolaises en particulier et en Afrique en général impactées par les changements climatiques mais également à des jeunes Togolais et Africains engagés qui initient des solutions locales pour atténuer les impacts de ces phénomènes climatiques.
Aujourd’hui, Vert-Togo est devenu une référence en matière d’information de données en matière d’enjeux environnementaux et climatiques en Afrique de l’Ouest. Nous publions quotidiennement, collaborons avec des institutions nationales comme internationales, et surtout, nous formons une nouvelle génération de journalistes écolos au Togo. Ce n’est plus juste un média. C’est un mouvement.
Quels sont, selon toi, les enjeux environnementaux les plus urgents au Togo et plus largement en Afrique de l’Ouest ?
Au Togo, le phénomène de réchauffement climatique s’accompagne d’une tendance à l’assèchement du climat qui affecte sérieusement les différents secteurs d’activité et la santé humaine. Les irrégularités saisonnières et interannuelles très sensibles sont dominées par l’augmentation de la température, la diminution ou l’augmentation des précipitations qui surviennent quelquefois de façon spectaculaire et agressive et provoquent des inondations aux dégâts multiples.
Conscient de ces enjeux, le Togo a ratifié la Convention-cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) et s’est engagé aux côtés de la communauté internationale à contribuer en tant que Partie à l’atteinte de l’objectif ultime de la convention. Malgré les efforts de la communauté internationale à stabiliser la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, le phénomène des changements climatiques continue de s’amplifier de façon drastique de jour en jour. Ce qui nécessite des efforts d’adaptation plus accrus des pays en développement comme le Togo qui sont les plus vulnérables.
Tu as couvert des sommets majeurs, des COP aux institutions européennes. Quel regard portes-tu sur la place donnée aux journalistes africains dans ces grands sommets ?
Je dirais d’abord que ce n’est pas un acquis, loin de là. C’est une grâce, une opportunité que Dieu m’a donnée. Figurez-vous que j’étais le seul journaliste togolais à couvrir les négociations climatiques lors de la COP27 à Sharm El-Sheikh, en Égypte. Et croyez-moi, ce fut une expérience éprouvante : aucun soutien, aucun financement, malgré de nombreux courriers adressés à plusieurs institutions nationales pour expliquer le bien-fondé de notre présence. L’objectif était clair : rendre visibles les actions du Togo dans cette grande messe mondiale du climat. Mais nous n’avons eu aucun retour, aucune subvention. Si je raconte cela, c’est pour illustrer un fait préoccupant : la place des journalistes africains dans les grands sommets internationaux reste largement marginale. Et c’est une situation qui, à mon sens, doit impérativement changer. Tant que les médias ne sont pas véritablement impliqués dans ces rencontres, il est impossible d’expliquer à nos populations ce que nos pays y gagnent réellement. Ce manque de relais affaiblit l’impact des décisions prises.
Je profite donc de votre canal pour lancer un appel clair : que les journalistes africains soient soutenus, formés et pleinement associés à ces initiatives. Sans quoi, nous resterons de simples figurants, là où nous devrions être des vecteurs d'information et de mobilisation. Et puis, il faut le dire franchement : même lorsque nous sommes invités, on ne nous écoute pas toujours. Il y a les badges, les buffets, les discours… mais dans les coulisses, les vraies décisions se prennent trop souvent sans nous. Et pourtant, qui mieux qu’un journaliste africain pour raconter ce que signifie « adaptation », « finance climatique » ou « pertes et préjudices » dans un village reculé du Sahel ou une zone côtière menacée par l’érosion ? Notre regard est essentiel. Notre voix doit porter.
Avec l’ATJ2E, tu mobilises une vingtaine de journalistes. Qu’est-ce qui t’a motivé à créer cette association ? Et quelles actions concrètes menez-vous ensemble ?
L’idée est née d’un constat simple : seuls, nous étions chacun dans notre média, souvent isolés, parfois découragés. Ensemble, on devient une force. Avec l’ATJ2E moi et certains de mes confrères, on forme les journalistes en collaboration avec des Organisations de la Société Civile (OSC), on les outille, on les connecte aux experts. On publie des tribunes, on sensibilise dans les écoles, dans les quartiers. C’est un réseau de solidarité mais aussi d’impact.
En 2024, par exemple, nous avons formé des femmes journalistes sur leur implication dans la lutte contre les changements climatiques appuyées par des ONG de la place très engagées sur la justice climatique et la promotion du genre, avec des reportages de terrain. Notre ambition ? Faire du journalisme environnemental un levier de transformation sociale au Togo.
Tu te définis comme un motivateur. D’où vient cette énergie ?
Peut-être de l’urgence de solutionner des problèmes. Peut-être du feu intérieur. Je viens d’une famille modeste, où rien n’était acquis. J’ai appris tôt que si tu ne crois pas en ce que Dieu a déposé en toi, personne ne le fera à ta place. Et puis, j’ai vu ce que l’engagement peut produire : un jeune qui, après une formation, lance une initiative pour répondre à un besoin au lieu d’attendre forcément qu’un poste dans une institution de la place le trouve c’est gagner du temps dans l’accomplissement dans sa destinée et évoluer dans le couloir de sa royauté. Motiver, pour moi, c’est transmettre une étincelle. C’est propulser quelqu’un dans sa destinée. C’est dire à chacun : « Tu peux faire ta part. Et ta part compte »
Quel regard portes-tu sur la jeunesse togolaise ? Y a-t-il un éveil écologique ?
La jeunesse togolaise est bien là. Porteuse d’espoir, engagée, mais encore fragile et dispersée. Peu soutenue, trop souvent livrée à elle-même… mais bien présente. Des étudiants lancent des initiatives de plaidoyer communautaire face à l’érosion du littoral togolais, organisent des campagnes de sensibilisation et de nettoyage des plages. Des artistes s’expriment sur la protection de la couche d’ozone. Des jeunes rurales s’unissent pour préserver les mangroves.
La jeunesse togolaise ne veut pas qu’on lui dise quoi faire. Elle veut qu’on lui donne les moyens de faire. Mon rôle, c’est d’être un passeur. De créer des ponts entre cette énergie et les leviers d’action. Le vrai changement viendra d’elle. Et moi, je continue de semer. Chaque jour.




