Mamitina Rolando : de l’ingénierie sociale au service des quartiers oubliés
- Je M'engage pour l'Afrique
- 28 juil.
- 5 min de lecture

À Madagascar, l'accès à l'eau reste un défi quotidien pour des milliers de familles. Face à cette urgence invisible, Mamitina Rolando Randriamanarivo, jeune ingénieur en génie industriel, a décidé d'agir. Avec son cousin, il lance INOMAWA, une application mobile pensée pour faciliter l’accès aux petits services de proximité transport d’eau, nettoyage, creusement de puits tout en revalorisant le travail informel. Lauréat du Challenge App Afrique 2025, il nous raconte l’histoire d’un projet né au bord d’un puits, qui veut rendre visibles les invisibles et redonner de la dignité à ceux qu’on oublie trop souvent.
Bonjour, Mamitina Rolando. Est-ce que vous pourriez vous présenter et présenter votre application INOMAWA aux lecteurs du JMA MAG ?
Bonjour à toutes et à tous ! Je m’appelle Mamitina Rolando Randriamanarivo, ingénieur en Génie Industriel, passionné par les technologies durables et les projets à impact social.
Mon parcours est animé par une profonde envie d’apporter ma contribution, même modeste, à ma communauté. Madagascar, mon pays, traverse aujourd’hui de nombreuses difficultés, et c’est dans ce contexte qu’est né notre projet INOMAWA (Innovation Malagasy Work App). Ce projet nous tient particulièrement à cœur car il vise à faciliter le quotidien des gens, notamment en ce qui concerne l’accès à l’eau.
Avec INOMAWA, nous souhaitons rendre plus accessibles les petits services comme le transport de bidons d’eau, le creusage de puits, ou encore le nettoyage, grâce à une simple application mobile. Mais au-delà de cela, nous voulons redonner de la dignité aux petits travailleurs de ce secteur en leur offrant une identité numérique fiable. Pour simplifier encore davantage l’utilisation, nous avons intégré des interactions SMS directement dans l’application, ce qui permet même à ceux qui n’ont pas de smartphone de profiter du service.
Quelles ont été les motivations ou les circonstances qui vous ont poussé à créer INOMAWA ?
Tout est parti de mon quartier, à Antananarivo. Chaque matin, je voyais des hommes et des femmes se lever à l’aube, dans l’espoir de décrocher un petit boulot pour la journée. Mais la réalité restait la même : un quotidien précaire, instable, sans perspective. Un jour, nous avions simplement besoin de quelqu’un pour repeindre une chambre. Pourtant, impossible de trouver une personne de confiance dans les environs, alors qu’il y avait forcément des gens compétents tout près.
Puis il y a eu cette autre expérience, quand ma sœur vivait dans un petit logement hors du campus universitaire. Les coupures d’eau y étaient fréquentes, et il fallait faire appel à des porteurs pour ramener de l’eau depuis la borne fontaine du quartier. Là encore, difficile de faire confiance à un inconnu, sans aucun repère ni garantie.
C’est cette méfiance, ce manque de lien et d’accès aux services essentiels que nous avons voulu résoudre avec INOMAWA. Une plateforme pour connecter les besoins du quotidien aux travailleurs de proximité, de façon simple, fiable et humaine.
Et pour l’anecdote : l’idée est née au bord de notre propre puits, avec mon cousin – aujourd’hui cofondateur du projet. Un moment un peu magique, comme un clin d’œil à Isaac Newton… sauf qu’à la place de la pomme, c’était un seau d’eau !
Selon vous, quelle est aujourd’hui la perception des enjeux liés à l’eau à Madagascar ? Est-ce un sujet qui préoccupe les populations, ou reste-t-il encore sous-estimé ?
Lors d’une conférence récente réunissant des professionnels de l’eau et de l’assainissement, j’ai été frappé par un constat : à Madagascar, l’eau est un véritable paradoxe. On en parle énormément dans les cercles institutionnels, mais dans la vie de tous les jours, c’est un sujet qu’on finit presque par banaliser. Dans les quartiers populaires, voir des files de bidons jaunes alignés devant les bornes fontaines est devenu une scène quotidienne. L’accès à l’eau potable reste un privilège pour beaucoup.
Je crois que les citoyens sont lucides sur la gravité du problème, mais ils se sentent souvent impuissants face à l’inaction ou à l’absence de solutions concrètes. C’est là qu’INOMAWA veut jouer un rôle : en développant une base de données locale de porteurs d’eau et de petits travailleurs de proximité, nous espérons devenir, à terme, une réponse simple, accessible et réactive face à cette pénurie persistante.
Qu’est-ce qui vous a poussé à miser sur une application mobile pour répondre à ces besoins de terrain ? Et en tant qu’ingénieur, comment avez-vous transformé cette idée en un outil technologique concret et accessible ?
En tant qu’ingénieur, j’ai toujours considéré la technologie comme un pont entre les réalités sociales et les opportunités économiques. Une application mobile peut être un outil simple, accessible et puissant. Mais choisir cette voie n’a pas été une évidence dès le départ.
Créer INOMAWA m’a poussé à sortir complètement de ma zone de confort. Je suis reparti de zéro : apprendre à prototyper, coder, tester… pas à pas. Heureusement, j’ai eu la chance de bénéficier de formations en innovation numérique avec le programme D-Clic de l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie), qui m’a beaucoup aidé à structurer le projet.
Mais au fond, le vrai défi n’est pas technologique. Il est humain. Il s’agit de créer un outil qui parle vraiment aux utilisateurs, qui respecte leur quotidien et qui s’adapte à leurs réalités même pour ceux qui n’ont jamais touché un smartphone.
Comment ce soutien financier de 15 000 euros va-t-il vous aider à concrétiser la vision d’INOMAWA sur le terrain ?
Nous sommes profondément reconnaissants envers les organisateurs et partenaires du Challenge App Afrique pour avoir décerné à INOMAWA le prix de la 9ᵉ édition, Or Bleu 2025. C’est une véritable opportunité pour faire passer notre projet à l’échelle supérieure.
Concrètement, cette récompense va nous permettre d’agir sur trois priorités. D’abord, renforcer le développement technique de l’application, notamment en travaillant sur l’intégration des interactions par SMS, un point clé pour toucher les utilisateurs sans smartphones. Ensuite, nous prévoyons de former les travailleurs de nos premières communes pilotes, en collaboration avec des associations locales déjà actives sur le terrain.
Enfin et c’est un volet qui nous tient particulièrement à cœur — nous lancerons une campagne de sensibilisation communautaire, à la fois pour les travailleurs informels et pour les habitants des quartiers concernés. Notre ambition est claire : faire d’INOMAWA une entreprise sociale qui transforme concrètement des vies.
On sent à travers vos projets, et notamment votre TEDx sur Les Invisibles du Quartier, un attachement fort aux travailleurs communautaires et informels. Qu’est-ce qui explique cet engagement, et comment cela influence-t-il votre approche ?
Ce sujet me touche parce que j’ai grandi au milieu de ces travailleurs. Mon quartier, c’est ma première école de résilience. J’ai vu des hommes construire des maisons qu’ils ne pourraient jamais habiter, des femmes nettoyer des rues sans jamais être remerciées.
Dans tous mes projets, que ce soit avec KALIA (une initiative d’agriculture urbaine cheap), ou CITY ZEN (un programme d’éducation civique et écologique dans les écoles publiques), je cherche toujours à inclure ces communautés. Ces gens sont les piliers silencieux de nos villes. Et maintenant avec INOMAWA, je suis convaincu qu’Il faut créer du travail décent, c’est le seul moyen de relancer notre économie, et rendre la dignité au labeur de ces petits travailleurs,
Vous avez mentionné vouloir créer une cohorte de jeunes innovateurs à Madagascar. Selon vous, qu’est-ce qui fait la force de la jeunesse malgache, et africaine en général ?
Pour être honnête, la jeunesse malgache, comme la jeunesse africaine en général, est à la fois créative et extrêmement débrouillarde. On fait beaucoup avec très peu, et surtout, il y a une vraie soif de changement. Autour de moi, je vois des jeunes qui inventent, qui osent prendre des risques. Ce qui manque, c’est simplement l’accès aux bons outils et aux moyens nécessaires.
Tout a commencé pour moi dans un club de mon lycée, appelé le “Club des Sciences”, un véritable laboratoire d’idées pour des jeunes passionnés.
C’est cette expérience qui m’inspire à créer une cohorte de jeunes porteurs de solutions, accompagnés et connectés aux bons réseaux. Un écosystème où chacun trouve sa place et où l’on construit ensemble, avec humilité.




