La transition écologique à l’épreuve des droits fonciers féminins au Sahel
- Je M'engage pour l'Afrique
- 29 juil.
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Dans le Sahel, les femmes représentent une force de travail agricole majeure, mais restent largement exclues des régimes fonciers formels et coutumiers. Cette exclusion structurelle compromet les politiques de transition écologique, qui continuent d’ignorer les usages féminins du sol, les savoirs locaux et les dynamiques de pouvoir. Cette chronique examine, à partir de données récentes, comment l’injustice foncière à l’égard des femmes entrave les efforts d’adaptation climatique et de résilience dans la région.
La transition écologique dans le Sahel s’appuie sur des dispositifs techniques, des financements internationaux et des indicateurs de résilience. Mais elle se déploie sur des territoires où l’accès à la terre reste profondément inégal, notamment pour les femmes. Or, dans cette région, la terre n’est pas un simple support de production : elle est un vecteur de pouvoir, de transmission et de négociation sociale. Les femmes y jouent un rôle central dans les usages agricoles, la restauration des sols et la gestion des ressources, mais elles demeurent exclues des régimes fonciers formels et coutumiers. Cette dissociation entre usage et reconnaissance juridique constitue une faille structurelle. Elle fragilise les politiques climatiques, rend les investissements précaires et invisibilise les savoirs locaux. En l’absence de sécurisation foncière, les pratiques féminines restent informelles, non capitalisables, et donc non intégrées aux schémas de transition. Penser l’écologie sans interroger les régimes de propriété revient à reconduire les logiques d’exclusion.
Le droit foncier comme condition de la transition
Dans les zones rurales du Burkina Faso, les femmes participent activement aux projets de reforestation et de restauration des terres dégradées. Pourtant, selon le rapport USAID Burkina Faso MEL, moins de 5 % des terres réhabilitées dans le cadre de ces projets sont juridiquement sécurisées au nom de femmes. Cette asymétrie révèle une contradiction fondamentale : les femmes sont mobilisées comme actrices de la transition écologique, mais leurs droits fonciers restent précaires, voire inexistants.
Les régimes coutumiers continuent de privilégier les héritiers masculins, tandis que les dispositifs juridiques formels exigent des titres que les femmes ne peuvent souvent pas obtenir, faute de reconnaissance sociale ou de ressources économiques. Cette insécurité foncière limite leur capacité à investir dans des pratiques agro-écologiques durables, à accéder aux financements verts ou à participer aux instances de gouvernance des ressources naturelles.
La transition écologique, dans ce contexte, repose sur des usages instables. Elle mobilise des savoirs locaux sans les sécuriser. Elle valorise des pratiques féminines sans les institutionnaliser. Elle risque ainsi de reconduire les logiques extractives qu’elle prétend dépasser.
Vulnérabilités climatiques et effets genrés
Le rapport de Plan International (2025), mené dans dix pays sahéliens, documente les effets différenciés du changement climatique sur les adolescentes et jeunes femmes. Les données montrent que la sécheresse, l’insécurité alimentaire et la raréfaction de l’eau entraînent des abandons scolaires, des mariages précoces et une exposition accrue aux violences sexuelles.
Ces effets ne sont pas anecdotiques. Ils traduisent une vulnérabilité structurelle liée à la division genrée du travail, à l’inégalité d’accès aux ressources et à l’absence de reconnaissance des usages féminins du territoire. Les adolescentes interrogées évoquent la difficulté à gérer leur hygiène menstruelle en période de pénurie d’eau, les risques encourus lors des trajets vers les points d’eau, et la pression familiale pour se marier en période de crise.
Dans les ménages où les femmes disposent d’un accès sécurisé à la terre, ces vulnérabilités sont atténuées. Le sol devient un levier de négociation, une source de revenu, un espace d’autonomie. L’accès foncier féminin ne relève donc pas seulement d’une justice sociale : il constitue une condition matérielle de résilience face aux chocs climatiques.
Politiques de transition et exclusion des usages féminins
Au Mali, les projets d’électrification verte se multiplient dans les zones rurales. Mais selon le brief de UN Women Mali, les femmes sont largement exclues des schémas de compensation foncière liés à l’installation de ces infrastructures. Elles utilisent les terres, mais ne les possèdent pas. Elles sont déplacées sans indemnisation, car leurs usages ne sont pas reconnus comme légitimes.
Cette situation révèle une faille dans les politiques de transition : elles s’appuient sur des modèles techniques sans intégrer les rapports sociaux de propriété. Elles considèrent les femmes comme bénéficiaires, non comme titulaires de droits. Elles mobilisent des ressources sans interroger les conditions d’accès à ces ressources.
Le rapport USAID sur le triple nexus souligne que les politiques climatiques doivent articuler genre, gouvernance foncière et fragilité étatique. Sans cette articulation, les interventions risquent de renforcer les inégalités existantes, de marginaliser les savoirs locaux et de produire des effets contre-productifs.
Pour une transition adossée aux droits fonciers des femmes
Il est urgent d’ancrer la transition écologique du Sahel dans une réforme foncière ambitieuse. Cela implique de reconnaître comme légitimes-sur le plan juridique-les terres que les femmes cultivent au quotidien, même lorsqu’elles en sont seulement usagères selon les normes coutumières. Il faut garantir leur place dans les dispositifs locaux de gouvernance foncière et environnementale, non pas comme “bénéficiaires” mais comme co-décisionnaires : droit de vote, voix délibérative, capacité à peser sur l’allocation des ressources. Les financements climat doivent enfin s’arrimer aux pratiques concrètes portées par des femmes, souvent informelles mais techniquement robustes, et structurantes pour la résilience des territoires. Quant aux savoirs féminins en matière d’adaptation, il est temps de cesser de les folkloriser : ils constituent un socle analytique pour refonder les politiques climatiques sur des usages réels, situés, durables.
Baltazar ATANGANA
Expert en genre et transition écologique